16
Menzoberranzan

 

 

Le radeau glissait lentement sur Donigarten, le petit lac sombre situé à l’extrémité est de l’immense caverne qui renfermait Menzoberranzan. Assis à la proue de l’embarcation, Drizzt regardait vers l’ouest alors que la caverne s’ouvrait devant lui, même si par l’infravision l’image semblait étrangement brouillée. Il attribua d’abord ce phénomène aux courants chauds du lac et n’y pensa plus. Il était préoccupé et son esprit agité de souvenirs fouillait autant le passé que le présent.

Derrière lui, les gémissements rythmés des rameurs orques lui permettaient de garder son calme et de faire surgir ses images du passé une à une.

Il ferma les yeux et se força à passer de l’infravision, sensible à la chaleur, au spectre du visible, tout en se remémorant la splendeur des stalagmites et stalactites de Menzoberranzan, ainsi que leurs complexes motifs sculptés, éclairés par des lueurs féeriques violettes, bleues et rouges.

Il n’était pas préparé à ce qu’il vit quand il ouvrit les yeux ; la cité était abondamment éclairée ! Pas simplement par des lueurs féeriques mais aussi par des points éclatants, jaunes et blancs, torches et enchantements. Le temps d’un très court instant, Drizzt se permit de croire que cette présence de lumière traduisait peut-être un changement d’attitude de la part des elfes noirs. Il avait toujours associé l’éternelle obscurité de l’Outreterre au sinistre comportement des drows ou, en tout cas, il avait toujours songé que les ténèbres étaient un décor qui convenait bien à ses cousins.

Pourquoi cet éclairage ? Drizzt n’était pas assez arrogant pour imaginer qu’il puisse être lié, d’une façon ou d’une autre, à la traque dont il faisait l’objet. Il ne se pensait pas si important que cela aux yeux de ses semblables et ne soupçonnait qu’à peine plus que les gnomes des profondeurs que quelque chose était sur le point de mal tourner. S’il ignorait tout des projets de raid total en surface, il aurait aimé interroger l’un des autres passagers à ce propos – notamment la drow, qui détenait vraisemblablement des informations –, mais comment pouvait-il aborder le sujet sans révéler son statut d’étranger ?

Comme si elle l’avait entendu réfléchir, la drow vint s’asseoir près de lui, trop près pour qu’il n’en soit pas gêné.

— Les jours sont longs sur l’île des rothés, dit-elle évasivement, ses yeux rouges clairement teintés d’envie bestiale.

— Je ne m’habituerai jamais à ces lumières, répondit Drizzt, tourné vers la cité, pour changer de sujet. Cela me pique les yeux.

Observant toujours dans le spectre visible, il espérait que cette remarque ferait dévier la conversation.

— Bien entendu, minauda la drow, qui se rapprocha et alla jusqu’à poser une main au creux du coude de Drizzt. Mais tu t’y feras à temps.

À temps ? À temps pour quoi ? Drizzt voulait le lui demander car, d’après le ton qu’elle avait employé, il la soupçonnait de faire allusion à quelque événement particulier. Il ne voyait toutefois pas comment interroger cette drow, qui présentait en outre un problème plus urgent alors qu’elle s’approchait encore un peu plus de lui.

La culture drow réduisait les spécimens masculins à des êtres soumis, pour lesquels refuser les avances d’une prétendante pouvait entraîner de sérieux ennuis.

— Je m’appelle Khareesa, lui murmura-t-elle dans l’oreille. Dis-moi que tu veux être mon esclave.

Drizzt bondit soudain et dégaina en un clin d’œil ses cimeterres. Il se détourna de Khareesa et fixa son attention sur le lac afin de s’assurer qu’elle saisissait bien qu’il ne la menaçait pas.

— Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle, surprise.

— Un mouvement dans l’eau, mentit Drizzt. Un léger courant en profondeur, comme si une masse volumineuse passait sous le bateau.

Khareesa se renfrogna et observa à son tour le lac sombre. Tout le monde savait, à Menzoberranzan, que des sinistres choses vivaient dans les eaux habituellement calmes de Donigarten. Un des jeux favoris des gardiens d’esclaves était de faire nager les gobelins et les orques de l’île au rivage, juste pour voir si l’un d’eux allait se faire attraper et connaître une mort affreuse.

Quelques instants s’écoulèrent dans un silence uniquement troublé par les chants plaintifs incessants des orques alignés sur les côtés de l’embarcation.

Puis un troisième drow rejoignit Drizzt et Khareesa à la proue.

— Tu signales notre position à tout ennemi potentiel présent dans les environs, signa-t-il en désignant le cimeterre qui brillait d’un bleu intense.

Drizzt remisa ses armes et réadapta ses yeux à l’infravision.

— Si nos ennemis se trouvent sous les eaux, alors le mouvement de notre barque nous trahit davantage que n’importe quelle lumière, répondit-il.

— Il n’y a pas d’ennemis, ajouta Khareesa, qui ordonna d’un geste au nouveau venu de retourner à son poste, avant de poser un regard lubrique sur Drizzt. Un guerrier ? Un chef de patrouille, peut-être ?

Drizzt acquiesça, ce qui n’était pas un mensonge ; il avait bien été chef de patrouille.

— Bien. J’aime les mâles qui en valent la peine. (Elle redressa la tête et constata qu’ils approchaient de l’île des rothés.) Nous en reparlerons plus tard. Enfin peut-être.

Elle le quitta sur ces mots, non sans relever sa robe de façon à dévoiler ses jambes bien galbées.

Drizzt grimaça, comme s’il avait reçu une gifle. Parler était bien la dernière chose à laquelle songeait Khareesa. Il ne pouvait nier qu’elle était splendide, les traits bien dessinés, une épaisse crinière de cheveux parfaitement coiffés, ainsi qu’un corps idéalement proportionné. Cependant, ses années passées parmi les drows avaient appris au rôdeur à regarder au-delà de la beauté et de l’attirance physique. Drizzt Do’Urden ne séparait pas les aspects physique et émotionnel. C’était un guerrier magnifique car il se battait avec son cœur ; se battre pour le simple plaisir du combat n’entrait pas plus dans ses principes que le fait de s’accoupler pour le simple plaisir de l’acte physique.

— Plus tard, répéta Khareesa en tournant la tête par-dessus son épaule délicate.

— Quand les vers dévoreront tes os, murmura Drizzt avec un sourire faux.

Pour une raison obscure, il songea alors à Catti-Brie. La chaleur de cette image repoussa le froid glacial de cette drow affamée.

 

* * *

 

Catti-Brie était sous le charme de Blingdenpierre, malgré la situation – évidemment délicate – dans laquelle elle se trouvait et le fait que les svirfnebelins ne la traitaient pas comme une amie de longue date retrouvée. Débarrassée de ses armes, de son armure, de ses bijoux et même de ses bottes, ne portant que ses simples vêtements, elle avait été conduite dans la cité. Les gnomes qui l’encadraient ne la maltraitaient pas mais ne se montraient pas aimables pour autant. Ils l’avaient fermement empoignée par les épaules et poussée sur les étroites voies caillouteuses qui passaient par les avant-postes défensifs de la cité.

Quand ils lui avaient ôté son bandeau, les gnomes avaient aussitôt deviné sa fonction. Ils le lui rendirent dès que les avant-postes furent franchis. Drizzt lui avait déjà parlé de cet endroit, ainsi que de la façon dont les gnomes des profondeurs se mêlaient naturellement à leur environnement, mais elle n’avait jamais imaginé à quel point les récits du drow étaient justes. Si les nains étaient des mineurs, les meilleurs de ce monde, ce qualificatif ne suffisait pas à décrire les gnomes des profondeurs, qui semblaient faire partie intégrante de la pierre qu’ils creusaient. Leurs demeures avaient l’allure de rochers abandonnés là par une éruption volcanique survenue il y a une éternité et leurs tunnels de chemins tortueux empruntés par une ancienne rivière.

Chacun des pas de Catti-Brie fut suivi par une centaine de paires d’yeux, tandis qu’elle était conduite dans la cité proprement dite. Elle se rendit alors compte qu’elle était sans doute la première humaine jamais observée par les svirfnebelins. Ces regards insistants ne la gênaient pas car elle-même était tout aussi curieuse de découvrir ces petits êtres, dont les traits, qui lui avaient paru gris et austères dans les tunnels extérieurs, lui semblaient désormais plus doux, plus avenants. Elle se demanda à quoi ressemblait un sourire sur un visage de svirfnebelin et eut aussitôt envie d’en voir un. Ces gens étaient des amis de Drizzt ; elle se le rappelait sans cesse et se rassurait ainsi, confiante dans le jugement du rôdeur drow.

Elle fut conduite dans une petite pièce circulaire, où un garde lui intima l’ordre de s’asseoir sur l’une des trois chaises en pierre. Catti-Brie s’exécuta, non sans hésitation car il lui était revenu en mémoire une histoire racontée par Drizzt, qui avait été retenu prisonnier par une chaise svirfnebeline enchantée.

Rien de tel ne se produisit et, un instant plus tard, un gnome des profondeurs qui sortait de l’ordinaire entra dans la pièce, le médaillon magique à l’effigie de Drizzt suspendu au bout d’une main en forme de pioche en mithral.

— Belwar, dit Catti-Brie avec assurance, certaine qu’il ne pouvait exister deux gnomes correspondant si parfaitement à la description que lui avait faite Drizzt de son cher ami svirfnebelin.

Le très vénérable maître-terrassier s’immobilisa et considéra la jeune femme d’un œil suspicieux, visiblement surpris d’avoir été reconnu.

— Drizzt… Belwar. Catti-Brie… Drizzt, insista Catti-Brie, en mimant le geste d’étreindre quelqu’un, puis se désignant du doigt, ce à plusieurs reprises.

Ils étaient tous deux incapables de prononcer plus de quelques mots dans la langue de l’autre, néanmoins, en peu de temps et en se servant de ses mains et du langage corporel, Catti-Brie gagna la confiance du maître-terrassier, à qui elle parvint même à expliquer qu’elle était à la recherche de son ami.

Elle n’aima pas la mine grave qu’afficha alors Belwar, dont l’explication, qui tenait en un seul mot, le nom de la cité drow, n’était guère rassurante ; Drizzt s’était rendu à Menzoberranzan.

On lui offrit un repas de champignons cuisinés et d’autres pousses végétales qu’elle ne reconnut pas, puis on lui rendit son équipement, y compris le médaillon et la panthère en onyx, à l’exception du masque magique.

Elle fut ensuite laissée seule, durant ce qui lui parut des heures, assise dans les ténèbres éclairées par la lumière d’étoile. Elle bénit en silence Alustriel pour son précieux cadeau et songea à quel point son périple aurait été catastrophique sans l’œil-de-chat. Elle n’aurait même pas eu la possibilité de reconnaître Belwar dans l’obscurité !

Ses pensées étaient toujours tournées vers lui quand il fit enfin son retour, accompagné par deux autres gnomes vêtus de longues robes, très différentes des tenues grossières aux allures de cuir et plaquées de métal typique de cette race. Catti-Brie supposa qu’il devait s’agir de deux personnages importants, peut-être des conseillers.

— Firble, présenta Belwar en désignant l’un des svirfnebelins, qui n’avait pas l’air content.

La jeune humaine comprit pourquoi quelques instants plus tard, quand Belwar la pointa du doigt, avant de désigner Firble, puis la porte et prononcer une longue phrase, à laquelle Catti-Brie ne comprit qu’un seul mot : « Menzoberranzan ».

Firble, manifestement impatient de repartir, lui fit signe de le suivre et, même si elle aurait aimé rester à Blingdenpierre afin d’en apprendre davantage sur ces étonnants svirfnebelins, Catti-Brie obtempéra bien volontiers. Drizzt avait déjà pris bien trop d’avance sur elle. Elle se leva et s’apprêtait à s’en aller quand Belwar la retint par sa pioche et la contraignit à se retourner vers lui.

Le gnome sortit le masque magique de sa ceinture et le lui tendit.

— Drizzt, Drizzt, dit-il en désignant de son marteau le visage de la jeune femme.

Celle-ci hocha la tête, comprenant que le maître-terrassier estimait qu’il était plus prudent pour elle d’évoluer en drow. Elle fit mine de partir puis, soudain, elle se retourna et embrassa Belwar sur la joue. Après lui avoir offert un sourire de reconnaissance, elle sortit de la demeure et, Firble ouvrant la route, quitta Blingdenpierre.

— Comment as-tu convaincu Firble de la conduire à la cité drow ? demanda l’autre conseiller à Belwar quand ils furent seuls.

— Bivrip ! beugla ce dernier.

Il fit claquer ses mains de mithral l’une contre l’autre et, immédiatement, des étincelles et des arcs d’énergie parcoururent ses membres artificiels. Il jeta un regard ironique au conseiller, qui lâcha un rire aigu typique des svirfnebelins. Pauvre Firble.

 

* * *

 

Drizzt était ravi de devoir escorter un groupe d’orques de l’île jusqu’au continent ; cela avait au moins le mérite de l’éloigner de l’empressée Khareesa. Elle le regarda s’éloigner du rivage, l’expression hésitant entre une moue boudeuse et l’anticipation du plaisir, comme pour souligner que cette évasion de Drizzt n’était que temporaire.

L’île derrière lui, le rôdeur chassa toute pensée de Khareesa de son esprit. Sa mission, ainsi que les dangers, se trouvaient devant lui, dans la cité elle-même, et il devait bien reconnaître qu’il ignorait par où il commencerait à chercher des renseignements. Il redoutait de ne pas entrevoir d’autre choix que de se rendre, de se donner pour protéger les amis qu’il avait laissés derrière lui.

Il songea à Zaknafein, son père et ami, qui avait été sacrifié à la Reine Araignée à sa place. Il songea à Wulfgar, son ami disparu, et les souvenirs du jeune barbare renforcèrent sa détermination.

Il ne donna aucune explication aux gardiens d’esclaves surpris qui attendaient l’embarcation sur la plage. Son expression suffit à les dissuader de lui poser la moindre question quand il passa devant leur campement et s’éloigna de Donigarten.

Il ne tarda pas à se déplacer avec aisance – et méfiance – dans les allées sinueuses de Menzoberranzan. Il frôla plusieurs elfes noirs et fut l’objet des regards plus que curieux d’une dizaine de gardes de Maisons, en service sur les parapets installés sur les stalactites creuses. De façon quelque peu irrationnelle, Drizzt ne pouvait s’empêcher de penser qu’il risquait d’être reconnu. Il dut se répéter plusieurs fois qu’il avait quitté cet endroit depuis plus de trente ans et que Drizzt Do’Urden, et même la Maison Do’Urden, faisait désormais partie de l’histoire de Menzoberranzan.

Mais si cela était vrai, pourquoi était-il ici, en ce lieu où il ne souhaitait pas se trouver ?

Il regretta de ne pas posséder de piwafwi, cette cape noire qui était le vêtement d’extérieur typique des drows. La sienne, vert forêt, épaisse, chaude et qui convenait davantage à l’environnement du monde de la surface, pouvait, aux yeux de ceux qui l’observaient, le relier à ces régions qu’ils n’avaient que rarement contemplées. La capuche sur la tête, il poursuivit sa route, convaincu de ne passer que pour un des nombreux drows qui traversaient la cité, alors qu’il se familiarisait de nouveau avec les étroites avenues et les passages obscurs.

L’éclat d’une lumière, au détour d’une courbe, le surprit et heurta ses yeux sensibles à la chaleur. Il s’adossa aussitôt contre une stalagmite et, d’une main glissée sous sa cape, il agrippa la poignée de Scintillante.

Un groupe de quatre drows, bavardant tranquillement, se présenta dans le virage sans prêter attention à Drizzt, qui, tandis que sa vision se réadaptait au spectre du visible, nota qu’ils arboraient le symbole de la Maison Baenre. L’un d’eux portait même une torche !

De toute sa vie, le rôdeur n’avait que rarement été témoin d’un événement apparemment aussi absurde. Pourquoi ? se demanda-t-il à plusieurs reprises, tout en pressentant que tout cela était d’une certaine façon lié à lui. Les elfes noirs préparaient-ils une offensive contre un site de la surface quelconque ?

Cette hypothèse l’ébranla jusqu’au plus profond de son âme. Des soldats de la Maison Baenre munis de torches, occupés à se désensibiliser les yeux à la lumière. Drizzt ne savait plus que penser. Il décida qu’il lui faudrait retourner à l’île des rothés, estimant que cet endroit éloigné lui servirait d’une aussi bonne base que les lieux les plus sûrs qu’il trouverait dans la cité. Peut-être parviendrait-il à persuader Khareesa de lui expliquer la présence de cet éclairage, ce qui lui permettrait de procéder à une excursion plus fructueuse la fois suivante.

Il revint donc sur ses pas à travers la cité, plongé dans ses pensées, et ne remarqua pas les ombres qui le suivaient ; rares étaient ceux à Menzoberranzan qui repéraient les mouvements de Bregan D’aerthe.

 

* * *

 

Catti-Brie n’avait jamais rien vu de si mystérieux et merveilleux. Sous la lumière d’étoile, la lueur des immenses stalagmites et des stalactites impressionnait davantage. Les lueurs féeriques de Menzoberranzan illuminaient dix mille sculptures extraordinaires, certaines adoptant une forme définie – principalement des araignées – et d’autres plus vagues, aussi surréalistes que splendides. Elle songea qu’il lui serait agréable de venir en cet endroit en d’autres circonstances. Elle se prit à rêver d’être une exploratrice et découvrir une Menzoberranzan vide, qu’elle pourrait étudier et dont elle pourrait analyser en sécurité l’incroyable savoir-faire et les reliques drows.

Car en effet, bien qu’ébahie par la magnificence de la cité drow, Catti-Brie était tout simplement terrifiée, entourée de vingt mille drows, vingt mille ennemis mortels…

Comme si cela pouvait chasser sa peur, elle serra le médaillon magique d’Alustriel et visualisa le portrait qui s’y trouvait, celui de Drizzt Do’Urden. Son ami était ici, près d’elle, elle en était certaine, et ses soupçons furent confirmés quand le bijou se mit soudain à émettre de la chaleur.

Puis il se refroidit. Catti-Brie procéda méthodiquement et se retourna face au nord, où débouchaient les tunnels secrets par lesquels Firble l’avait menée ici. Le médaillon étant toujours froid, elle pivota alors sur sa gauche et se retrouva face à l’ouest, qui s’étendait au-delà du gouffre qu’elle longeait – on le nommait Griffe-Gorge – sur des larges passages conduisant vers un niveau supérieur. Elle se tourna ensuite vers le sud, en direction de la plus grande portion de cet ensemble, à en juger par ses motifs complexes et illuminés. Le médaillon, toujours froid, ne commença à se réchauffer que lorsqu’elle poursuivit sa rotation, délaissant les monticules les plus proches pour observer une zone relativement plus isolée à l’est.

Drizzt était là-bas, à l’est. Catti-Brie inspira une grande bouffée d’air, puis une autre, afin de se calmer et de rassembler le courage nécessaire pour sortir du tunnel protecteur. Elle baissa de nouveau les yeux sur ses mains, ainsi que sur sa robe flottante, et fit confiance à son allure de drow, apparemment parfaite. Elle aurait aimé avoir Guenhwyvar auprès d’elle – elle se souvint de ce moment, à Lunargent, quand la panthère bondissait dans les rues à ses côtés –, mais n’était pas certaine de la façon dont le félin aurait été accueilli à Menzoberranzan. Or attirer l’attention était bien la dernière chose qu’elle souhaitait.

Elle se mit à marcher, d’un bon pas, la capuche sur la tête et quelque peu voûtée, puis se laissa guider par le médaillon, qu’elle serrait au moins autant pour y puiser des forces que pour se guider. Elle faisait le maximum pour éviter les regards des nombreuses sentinelles de Maisons et tournait ostensiblement la tête dans une autre direction quand elle croisait un drow dans l’avenue.

Elle avait presque quitté la zone des stalagmites et elle distinguait le lit de mousse, le bosquet de champignons et même le lac un peu plus loin, quand deux drows surgirent soudain des ombres et lui barrèrent le passage, leurs armes toutefois toujours dans leurs fourreaux.

L’un d’eux lui posa une question que, bien évidemment, elle ne comprit pas. Elle grimaça en elle-même et remarqua qu’ils regardaient ses yeux. Ses yeux ! Bien sûr, ceux-ci ne brillaient pas de la lueur caractéristique de l’infravision, comme les gnomes le lui avaient fait remarquer. L’elfe noir posa de nouveau sa question, avec légèrement plus de vigueur, puis regarda par-dessus son épaule, en direction du lit de mousse et du lac.

Catti-Brie, qui soupçonnait ces deux drows de faire partie d’une patrouille, imagina qu’ils voulaient savoir ce qu’elle venait faire de ce côté de la cité. Elle nota qu’ils s’adressaient à elle avec une certaine courtoisie et se rappela ce que lui avait appris Drizzt au sujet de la culture drow.

Elle était une femme et eux seulement des hommes.

Quand la question incompréhensible fut de nouveau posée, Catti-Brie répondit par un grondement féroce. L’un des drows porta les mains aux poignées de ses épées jumelles mais elle les désigna en grondant d’une façon encore plus menaçante.

Les deux elfes noirs se consultèrent du regard, clairement étonnés. Ils avaient cru que cette drow était aveugle, ou qu’elle ne se servait pas de l’infravision, et les lumières de la cité n’étaient pas si intenses que cela. Elle n’aurait pas dû percevoir ce geste de façon aussi nette et pourtant, à en juger par sa réaction, cela avait bien été le cas.

Catti-Brie grogna encore et les congédia d’un geste. Elle fut alors surprise – et soulagée – de les voir reculer. Malgré les doutes qu’ils semblaient nourrir à son encontre, ils n’esquissèrent aucun geste dans sa direction.

Alors qu’elle s’apprêtait à se voûter de nouveau, puis à dissimuler son visage sous la capuche, elle changea d’avis. Elle se trouvait à Menzoberranzan, patrie des elfes noirs effrontés, lieu d’intrigues, un endroit où le fait de savoir – ou même de faire croire que l’on savait – quelque chose qu’ignorait votre ennemi pouvait vous sauver la vie.

Catti-Brie rejeta la capuche en arrière et se redressa, puis elle secoua la tête, ce qui libéra ses épais cheveux des plis de ses vêtements. Enfin, elle toisa les deux drows avec un air cruel et éclata de rire.

Ils s’enfuirent en courant.

La jeune femme s’en effondra presque de soulagement. Elle prit une nouvelle profonde inspiration et, le poing serré sur le médaillon, se dirigea vers le lac.

Nuit sans étoiles
titlepage.xhtml
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-08]Nuit sans etoiles(1993).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html